Dylan on Canvas - Halcyon Gallery - London 2010

Publié le par Oyster

Londres, ville déstabilisante s'il en est ! Au sortir de l'aéroport, déjà, on ne sait plus de quel côté regarder avant de traverser la route. Ensuite, on découvre que les distances réelles ne correspondent pas exactement à celles indiquées sur le plan : les souliers fraîchement cirés n'apprécient guère. Pour m'être déjà rendu dans la capitale britannique voici quelques années, je pensais me repérer facilement ; dieu sait pourtant qu'on a tôt fait de se perdre dans ce dédale de rues interchangeables, hérissées de façades tantôt livides, tantôt rougeâtres à l'ombre desquelles fusent, lancés à pleine vitesse, des bolides qui se moquent bien de vous, pauvre piéton mangeur de grenouilles avec son Guide du Routard dans les bras.

Et puis, soudain, alors que l'on commence à penser que mieux vaut finir la journée en sécurité dans un bar, surgit dans une vitrine un nom rassurant, un nom qui ouvre en deux le smog londonien, un nom qui vous fait vous sentir... comme à la maison.

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Jusqu'au 10 avril 2010, les toiles de Bob Dylan honorent de leur présence la Halcyon Gallery de Londres (au 24 Bruton Street). Si j'ai bien compris, c'est la première fois que sont exposées des oeuvres du Maître à la peinture acrylique. Jusqu'à présent, on connaissait ses esquisses et autres aquarelles (voir ici) qui suggéraient fortement que Dylan, n'excellant pas vraiment dans l'art de la peinture (on se souviendra de ses pochettes de Music From Big Pink du Band et de Self Portrait), entendait bien apprendre. L'artiste total est, par définition, toujours en devenir.

Que peint Dylan ? Des arbres, des camions, des rails, des chevaux, des chambres d'hôtel, des Femmes. On ne sait pas ce qu'il veut dire ; on ne sait pas pourquoi. A l'image des Two Sisters (voir ci-dessous), ses oeuvres picturales - comme ses chansons - débordent d'ambiguïté. Ne faut-il pas voir, dans cette anodine conversation entre soeurs, les préliminaires d'une cérémonie saphique ? Quand Dylan met la Féminité en scène, ce n'est jamais simple : feuilletons, confortablement assis dans le canapé en cuir de la galerie, le catalogue des Drawn Blank Series, qui regorge d'esquisses de femmes à la sensualité énigmatique. Ici, quelques traits nerveux composent un nu centré sur le bas-ventre. La dame pose une main sur ses cuisses. L'oeil du spectateur est irrésistiblement attiré par une tâche noire, qui peut aussi bien être celle d'un sous-vêtement que l'ombre de la toison pubienne.

Parfois, Dylan dessine plusieurs fois la même scène, le même décor, en changeant seulement quelques détails apparemment insignifiants, quelques couleurs. L'oeuvre n'en apparaît que plus instable - multiple est je crois le terme qui convient. On pense alors immanquablement au traitement qu'il réserve chaque soir sur scène à ses chansons, les altérant juste ce qu'il faut, jonglant avec les sentiments déployés. A l'instar de son créateur, le personnage central d'une scène devient plusieurs, et nous, nous ne savons plus vers quel miroir il faut se tourner.

Il ne m'appartient pas de dire si Dylan peint bien ou mal (tout ce que je peux dire à ce sujet, c'est que je me suis extasié de ses coups de pinceaux, de ses coins de toile salopés avec la manche, de ses couleurs qui pétaradent) ; en tout cas, ses peintures constituent un très intéressant pendant à son oeuvre musicale. Quand Dylan peint une ligne de chemin de fer  fuyant vers l'infini, il ne nous montre pas moins que la direction qu'il prend. Réjouissons-nous, car la locomotive ne cesse de se perdre dans le lointain. Et ça, c'est plus classe que de se paumer dans les quartiers huppés de Londres.

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Publié dans Dylanologie

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E
<br /> Moi, je dessine super bien les bonhomme avec des traits.<br /> <br /> <br />
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