A Hard Rain's A-Gonna Fall

Publié le par Oyster

Voici donc un pays atomisé à deux reprises il y a soixante ans (- Nagasa qui ?) et qui, malgré les souffrances et la désapprobation de sa digne population, a laissé pousser sur son triste sol une cinquantaine de champignons nucléaires potentiels. Sol d'ailleurs célèbre de part le vaste monde pour sa très haute sismicité... Il y a des jours comme cela où l'on se dit que non, décidément, certains n'ont pas un atome de bon sens dans la cervelle.
Le choeur des lobbyistes libidineux, des experts énucléés et autres optimistes obséquieux est entré en fusion et ce n'est pas très beau à regarder. La France, pays radieux où l'on considère que les centrales font nettement plus joli dans le paysage que les éoliennes, vient de proposer les services de ses "experts nucléaires" au Japon - espérons que ce sont les mêmes qui, avec leurs petits bras musclés, arrêtaient les nuées radioactives à la frontière...
Pour l'heure, pas de danger donc, mais une spéciale dédicace à la thyroïde de papa tout de même.

 

 

 
*
*   *
"Le monde est ce qu'il est, c'est-à-dire peu de choses. C'est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d'information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique. On nous apprend, en effet, au milieu d'une foule de commentaires enthousiastes que n'importe quelle ville d'importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d'un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l'avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.

En attendant, il est permis de penser qu'il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d'abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l'homme ait fait preuve depuis des siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d'aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d'idéalisme impénitent, ne songera à s'en étonner.

Les découvertes doivent être enregistrées, commentées selon ce qu'elles sont, annoncées au monde pour que l'homme ait une juste idée de son destin. Mais entourer ces terribles révélations d'une littérature pittoresque ou humoristique, c'est ce qui n'est pas supportable.

Déjà, on ne respirait pas facilement dans un monde torturé. Voici qu'une angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d'être définitive. On offre sans doute à l'humanité sa dernière chance. Et ce peut-être après tout le prétexte d'une édition spéciale. Mais ce devrait être plus sûrement le sujet de quelques réflexions et de beaucoup de silence.

Au reste, il est d'autres raisons d'accueillir avec réserve le roman d'anticipation que les journaux nous proposent. Quand on voit le rédacteur diplomatique de l'Agence Reuter annoncer que cette invention rend caducs les traités ou périmées les décisions mêmes de Potsdam, remarquer qu'il est indifférent que les Russes soient à Koenigsberg ou la Turquie aux Dardanelles, on ne peut se défendre de supposer à ce beau concert des intentions assez étrangères au désintéressement scientifique.

Qu'on nous entende bien. Si les Japonais capitulent après la destruction d'Hiroshima et par l'effet de l'intimidation, nous nous en réjouirons. Mais nous nous refusons à tirer d'une aussi grave nouvelle autre chose que la décision de plaider plus énergiquement encore en faveur d'une véritable société internationale, où les grandes puissances n'auront pas de droits supérieurs aux petites et aux moyennes nations, où la guerre, fléau devenu définitif par le seul effet de l'intelligence humaine, ne dépendra plus des appétits ou des doctrines de tel ou tel État.

Devant les perspectives terrifiantes qui s'ouvrent à l'humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d'être mené. Ce n'est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l'ordre de choisir définitivement entre l'enfer et la raison."

Albert Camus, éditorial de Combat, 8 août 1945.


Publié dans La chanson du jour

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
N
<br /> Concernant l'investissement et la recherche, les budgets ne sont pas en vases communicants (et heureusement !!!) : nous ne sommes pas dans un processus où l'on peut "économiser" l'argent<br /> qu'engloutit le nucléaire, étant donné qu'on a encore rien trouvé de mieux, aussi bien économiquement qu'écologiquement, à la bonne marche du monde (même si, à l'évidence, c'est loin d'être parfait<br /> et inoffensif - et je suis désolée que tu sois concerné). Parce qu'alors, tu arrêtes de faire tourner les centrales pour économiser l'argent que ça consomme, tu l'investis dans la recherche, mais<br /> entre le moment où tu as économisé et le moment où on aura trouvé la solution, ce qui demande de toute façon des années, on fait quoi ? On s'éclaire à la bougie ? On utilise d'autres énergies ?<br /> Les énergies pétrolières, en terme de maladies et dévastation de la nature, c'est sans commune mesure avec la radioactivité, et franchement je m'étonne que les gens qui crie au scandale devant les<br /> centrales fassent par ailleurs leurs pleins d'essence sans se tordre le bide de culpabilité et compassion pour les victimes de cette industrie-là. Ignorance totale des chiffres et des phénomènes,<br /> encore une fois. Les éoliennes, c'est complètement dérisoire si on sait compter (et effectivement l'argument de l'esthétique, c'est poilant!), l'hydraulique est géographiquement limité, et les<br /> centrales thermiques, euh... au secours. L'énergie solaire en est à ses balbutiement - j'espère qu'on vivra son avènement d'ici quelques années.<br /> Alors oui, on pourrait investir davantage dans la recherche, mais ça ne serait de toute façon pas en faisant des économies sur le nucléaire, à moins de courir, ce coup-là, à une véritable<br /> apocalypse.<br /> <br /> Enfin bon, comme je te le disais, je conçois qu'on soit anti- ou qu'on ait un petit doigt rabat-joie sur la question (moi-même je surveille avec passion (oui, oui!) ce qui se fait pour parvenir à<br /> trouver quelque chose de mieux que le nucléaire, en espérant que je pourrais voir ça de mes propres yeux d'ici 25-30 ans). Mais faire croire que c'est une industrie qui ne tourne que parce qu'elle<br /> profite à des lobbies et à d'ambitieux experts sans scrupules, arf...<br /> <br /> (Je suis beaucoup trop bavarde et emportée, mais hé, chacun ses lubies ! On entend tellement de conneries monumentales sur le sujet, cette avalanche de contre-vérités répandues par les médias (les<br /> mêmes qui disent: "Bob Dylan était un chanteur folk des années 60 mort il y a longtemps", huhu) est tellement dévastatrice, elle aussi ! En tout cas, merci d'avoir quand même répondu, parce qu'en<br /> me relisant je m'aperçois que j'étais un brin agressive, hum).<br /> <br /> PS: à titre indicatif, la voiture est une invention qui fait 1,3 millions de morts par an (!) et 20 millions d'handicapés par an (!!!). A quand le remplacement par des chevaux et des vélos ? (Idée<br /> proportionnellement ridicule à celle du remplacement du nucléaire par tout ce qu'on peut proposer d'autre pour l'instant).<br /> <br /> <br />
Répondre
O
<br /> Quant à la mienne, de conscience, elle me parle surtout des bestioles bourrées de radioactivité qui peuplent les riantes forêts de mon enfance - relevés scientifiques à l'appui -, du stockage<br /> problématique des déchets, et accessoirement de la thyroïde pourrie (pathologies bizarres, non cancéreuses) de mes deux géniteurs - je suppose que ma propre glande y passera aussi. La "petite<br /> santé", c'est important.<br /> <br /> Pour autant, je ne suis absolument pas un anti-nucléaire borné. Je ne milite pas pour cette cause, je n'ai même jamais glissé un quelconque bulletin pseudo-écolo dans l'urne, et je ne m'y risquerai<br /> d'ailleurs sans doute pas. Concernant le nucléaire, il me semble qu'il faut surtout considérer et les bénéfices apportés par la bonne gestion de cette énergie, et les inconvénients économiques et<br /> sanitaires inhérents à une mauvaise gestion. Mais cet article ne se veut aucunement une réflexion sur la question, laquelle m'est surtout prétexte à rigolade et à des jeux de mots tous plus bateaux<br /> les uns que les autres.<br /> Par exemple, contrairement à ce que tu dis, je ne défends pas l'éolienne comme mode de production d'énergie, je souligne simplement qu'opposer à l'implantation de ces machines des considérations<br /> d'ordre esthétique, comme cela se fait vraiment très souvent, c'est un peu léger.<br /> En fait, tout ce dont je parle dans cette note, c'est du rire jaune qui m'a pris en apprenant que l'on pouvait construire autant de centrales dans un lieu qui concentre une part non négligeable de<br /> l'activité sismique de la planète.<br /> L'histoire et la géographie du Japon donnent à cette histoire une "plaisante" touche d'ironie, non ?<br /> <br /> Enfin, il me semble que l'énergie humaine (sans compter les vies, évidemment) et les sommes englouties par la pénible réparation de ces catastrophes auraient pu être investies dans la recherche, la<br /> prévention et la construction plutôt que dans un laborieux processus d'endiguement. Mon petit doigt rabat-joie me dit que c'est quand même un petit peu dommage.<br /> <br /> <br />
Répondre
N
<br /> Moi, je comprends bien qu'on puisse être anti-nucléaire, mais avec une réflexion sérieuse. Se contenter de raisonnements simplistes, fondés sur des clichés et manifestement sur une méconnaissance<br /> totale de la physique nucléaire, et aller répandre comme ça la bonne parole, c'est juste intellectuellement irresponsable. Désolée si le ton est un petit violent mais je suis atterrée par les<br /> raccourcis quasi-mensongers que je lis dans tes lignes. Remplacer les centrales par des éoliennes ? Mais tu te rends compte de l'énormité ? Pour remplacer ne serait-ce qu'UNE centrale (soit environ<br /> 3200 MW, et encore, je minimise), il faudrait quasiment 1000 km² de champs d'éoliennes !<br /> <br /> "Le choeur des lobbyistes libidineux, des experts énucléés et autres optimistes obséquieux est entré en fusion".<br /> Ce qui est terrible, c'est que les formules cyniques et les clichés simplistes sont beaucoup plus simple et aisés à retenir que la très complexe réalité du problème énergétique - du coup, c'est<br /> répété par tous les moutons qui passent, pendant que les scientifiques qui ne PEUVENT PAS vulgariser une science à ce point complexe (et il ne faut pas compter sur le quidam pour faire l'effort de<br /> réfléchir) passent pour des sorciers ayant pactisé avec le diable.<br /> L'industrie nucléaire est la SEULE qui fait un usage systématique des REX. Ce n'est le cas dans aucune autre industrie. Et par ailleurs, c'est la seule qui est tenue de signaler tout incident, même<br /> minime, au grand public (consulte les lois TSN et les Listes d'Incidents). Le problème c'est que pour comprendre ces incidents, il faut comprendre ce que sont neutrons, protons, fusion/fission,<br /> particules alpha béta gamma, etc. Et accessoirement apprendre ce qu'est l'électricité dans une maison, l'IRM qu'on va passer pour sa petite santé, la radioactivité que nous portons tous en nous.<br /> Les gens ne font pas l'effort. Et plutôt que d'admettre qu'ils ne comprennent rien, ils préfèrent dire qu'on leur cache tout.<br /> Alors, je ne dis pas du tout va bien bien, que tout est bien. Mais il faut avoir un minimum le sens des ordres de grandeurs et des diverses alternatives possibles. Même si c'est très délicat de<br /> défendre le nucléaire en ce moment, au vu du drame qui est en train de se passer, il s'agit juste d'honnêteté intellectuelle de se renseigner plutôt que de surfer sur des clichés, des événements<br /> impressionnants, et des peurs fondées davantage sur l'ignorance que sur les faits.<br /> Je te le dis en toute amitié, hein. C'est ma conscience qui parle.<br /> <br /> <br />
Répondre