Death don't have no mercy

Publié le par Oyster

Blind Gary Davis est né en avril 1896 en Caroline du Sud. En dépit de sa cécité, il apprend tout jeune l'harmonica, la guitare et le banjo, dont il usera très tôt lors de fêtes locales. Musicien itinérant, il prêche la bonne parole du East Coast Blues et devient pasteur baptiste à Washington (Caroline du Nord) au début des années 30. Il infuse la foi à sa musique, se produit avec Blind Boy Fuller et Bull City Red avant de devenir chanteur des rues à New-York dans les années 40. Arpentant les quartiers pauvres, il chante son blues mâtiné de ragtime et de gospel tout en vivotant de leçons de guitare qu'il donne pour trois fois rien. Comme bon nombre de bluesmen de l'époque, il sera redécouvert lors du Folk Revival et enregistrera de nombreux disques, dont le Harlem Street Singer (1960) qui nous intéresse ici. Je suis retombé dessus récemment, et, depuis, je l'écoute très souvent. Ce disque, d'où jaillit une voix brutale et puissante conversant avec un jeu de guitare rapide et lumineux, regorge d'énergie. La noirceur côtoie ici la plus vive clarté : le blues, sans conteste, arrache des larmes autant qu'il donne le sourire.
(Allez comprendre... "Le blues, c'est comme le sel, on en met un peu partout", disait le pianiste Roosevelt Sykes. J'ai été amené un jour à me creuser la tête sur cette curieuse comparaison, et, ne vous moquez pas, je ne suis pas encore sorti du trou. "Maria, elle met du sel sur mon amour", écrit Dylan dans Tarantula : le sel attaque les plaies, et pense-t-on, les cicatrise. Instrument de torture au Moyen-Âge, le sel conserve et désinfecte. A l'instar du blues, qui, j'en suis convaincu, excite et panse les blessures, ainsi que s'il vidangeait la rate de sa bile, et fermons cette parenthèse.)
A la seconde écoute de Harlem Street Singer, album composé de merveilles toutes plus parfaites les unes que les autres, un titre, notamment, m'a heurté. Il me semblait déjà le connaître, et je le fredonnais en même temps que le Révérend dialoguait avec sa guitare. J'en ai eu la chair de poule. Il s'agissait de Death don't have no mercy, standard du blues dont je venais d'entendre une version (droguée et martyrisée) du Grateful Dead. Une chanson hypnotique et belle comme un temple déserté à la nuit tombante, qui me plonge dans un état contemplatif à chaque écoute. Le rougeoyant soleil la traversant frappe fort, et juste ; l'énergie vitale qui l'anime, teintée d'une douce mélancolie, vous drape d'ombres de velours et vous transporte loin là-haut, dans un ciel profond où naissent des astres paisibles. L'authenticité de Gary Davis, sa voix de caverne venteuse et sa guitare aérienne relèvent assurément de la grâce ; parce que c'est si bon, vous en prendrez bien une pincée.




Publié dans Eaux boueuses

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