Someday Baby Blues

Publié le par Oyster

Si je puis me permettre d'user d'une analogie facile, il semble que l'on aime la musique comme on aime une femme : en explorant patiemment, langoureusement ou douloureusement, chaque coin et recoin de son âme et de son corps. Dans le cas de la musique, cela relève parfois carrément de l'archéologie : on imagine mal, en effet, la quantité de secrets que peuvent contenir les étroits sillons d'un disque. Quand le diamant affûté se pose à la surface du vinyle, c'est toute une ambulante mémoire qui se met ainsi en branle, en quête de ses souterrains souvenirs.

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Sleepy John Estes (1899 ? - 1977) est l'un de ces lointains fantômes borgne et narcoleptique (le bougre cumule) dont la postérité, immense, donne le vertige. Dès 1929, il enregistre d'une voix plaintive quoique puissante - à l'instar de ces "pleureuses" au sens antique du terme, sorcières dont les lamentations accompagnaient les morts jusque dans l'autre monde, et dans la voix desquelles résonnait la plainte même du défunt - une multitude de titres dont certains compteront parmi les plus célèbres et repris de l'histoire du blues.


C'est en 1935, le 9 juillet (à Chicago pour les plus friands de détails), qu'il grave Someday Baby Blues, accompagné par l'harmonica de Hammie Nixon : il vient ainsi d'ériger en quelques minutes tout un pan de l'histoire du blues, sur lequel Mississippi Fred Mc Dowell, Lightnin' Hopkins, Muddy Waters, BB King, Bob Dylan et tant d'autres viendront par la suite accoler leur signature. L'ami Sleepy pressentait-il un tel succès ? En 1938, le 22 avril (à New York cette fois), il ré-enregistre cette chanson sous le titre New Someday Baby.

 

Et comme références obscures, plagiat assumé ou discrète intertextualité abondent dans la généalogie de cette musique, on écoutera avec émotion et intérêt la relecture de Someday Baby offerte par Big Maceo en 1941, avec son fameux Worried Life Blues qui lorgne sans scrupules du côté de Sleepy. Ce titre, au demeurant magnifique, accouchera lui-même d'une fantastique descendance, dans les mains habiles de John Lee Hooker et de James Cotton pour ne citer qu'eux...

Worried Life Blues, ou ma chanson préférée quand j'avais quatorze ans et que je connaissais à peine la saveur du bourbon ; dix ans plus tard, force est de constater que la belle rengaine ne m'a pas laissé indemne.

 


Comme quoi, dans ses fondements même, l'histoire du blues est déjà rock'n roll.

 


Publié dans Eaux boueuses

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